L'Olivier millénaire de Roquebrune Cap Martin





CONFIDENCES D’UN VETERAN
(texte Didier SAGON , photos : Marine et Didier SAGON)
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<<Mes amis,
En France le nombre de centenaires de plus en plus vaillants, parmi lesquels des jardiniers, est en augmentation.
Mais dans la famille des arbres, être centenaire est commun et nous pouvons vivre encore beaucoup plus longtemps, et moi, incontestablement, je suis le plus vieux de l’hexagone. Tellement vieux que je ne connais plus mon âge réel. Aussi les experts se sont penchés sur mon cas, m’ont ausculté, mesuré et n’ont pas réussi à se mettre d’accord. 1800 ans ? 2200 ans ? Le saura t’on un jour car même quand je serai mort, lors de mon autopsie, la dendrochronolie1 ne pourra être appliquée sur ma souche.
Mais je ne me suis pas présenté, je suis l’Olivier Millénaire de Roquebrune Cap Martin.
A mes pieds s’offre, sans mentir, la plus belle vue du monde. A ma gauche le Cap Martin, en face la grande bleue et les plages de Cabbé et de St Roman, à ma droite Monaco, au loin le Cap Ferrat et bien sûr les remparts du village médiéval de « Rocabruna », comme on dit ici. Cela fait allusion à la roche brune dont sont bâties les maisons ...


... Et oui, de mon promontoire j’ai vu passer en contrebas les soldats romains et les convois de commerçants sur la via Augusta, portion de la voie Aurelia, actuelle D6007, anciennement N7. J’ai vu défiler les troupes de grognards du corse Napoléon Bonaparte. La Corse que j’aperçois parfois quand le temps le permet. J’ai été témoin des combats entre les Vento et les Grimaldi. En 970, pour protéger la population des incursions sarrasines, j’ai vu s’élever les remparts du village bâti à 225 m d’altitude. J’ai eu plusieurs nationalités et obtenu finalement mon passeport français en 1861 seulement.
J’ai survécu aux conflits, aux grandes maladies, aux écarts climatiques. Mais j’ai souffert, mon apparence aujourd’hui en témoigne, car contrairement à mon maître, le vénérable olivier de Vouves en Crête âgé de plus de 3000 ans, je ne présente pas un seul tronc mais un ensemble de rejets torturés appelés souquets, issus de ma souche aux massives racines enchevêtrées. On estime mon poids à 20 tonnes. Vaillamment je me dresse à 15 m de hauteur pour un tour de taille de 23,5 m. De quoi procurer un peu d’ombre aux randonneurs qui montent de la plage de Carnolès vers le donjon, et leur donner quelques fruits car, oui, je suis encore productif. Mes toutes petites olives « Pichoulina2 » sont plus adaptées pour être dégustées au moment de l’apéritif que pour produire de l’huile ...

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Un de mes anciens propriétaires m’estimant de mauvais rapport à voulu me faire passer de vie à trépas. J’ai failli connaître la morsure mortelle des cognées et des scies quand mon sauveur, Gabriel Hanotaux3, est intervenu et a racheté la parcelle où je réside encore aujourd’hui. Le saint homme ! Aujourd’hui j’appartiens à la commune.
Bien que des oliveraies existent sur le Cap Martin ou à Menton, il vous faut prendre à droite au pied des remparts le chemin de Gorbio pour découvrir après quelques efforts des oliveraies très bien entretenues et très productives. Il faut savoir que nous autres, oliviers, ne produisons guère d’olives avant notre douzième année pour donner de 15 à 50 kg de fruits au mieux de notre forme. Nous pouvons alors fournir de 3 à 10 litres d’huile chaque année si nous sommes correctement taillés. Nous ne supportons pas le froid : en 1985 un grand nombre d’entre nous furent durement touchés. Aussi je suis outré de voir nos cousins espagnols arrachés pour être commercialisés dans le nord de l’Europe. Quel déchet en perspective même si la transplantation en bac est bien tolérée, et quel gâchis de transformer des arbres productifs en arbres d’ornement car sans chaleur, sans lumière, sans soleil il n’y a pas d’olive. J’ai été chanceux, j’ai pu bénéficier de conditions idéales pour ma croissance : un terrain bien drainé et caillouteux, une exposition sud-sud-est à l’abri du vent, du soleil.
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... Tel Grand-Mère Feuillage dans Pocahontas, je recueille les confidences des amoureux et de toutes les personnes qui croient en un monde meilleur, je suis le symbole de la paix, n’est il pas vrai ? Chef d’œuvre vivant j’ai eu des voisins célèbres dans le monde de la mode et de l’écriture : Coco Chanel et Romain Gary, entre autres.
Attention, j’aime qu’on me caresse mais je n’apprécie guère qu’on m’escalade pour prendre « la photo du siècle ».
J’ai quelques fois des faiblesses et je laisse choir une branche. J’ai besoin de soins qui coûtent cher. Le 14 janvier 2016 j’ai été promu « Arbre Remarquable de France ». Cette distinction représente donc une protection supplémentaire pour vivre au mieux mes vieux jours. Il y a aujourd’hui environ 400 arbres labellisés en France par l’association ARBRES4 qui a pour vocation de préserver, faire connaître, inventorier et sauvegarder les arbres remarquables français. Cette association devait œuvrer pour améliorer la signalétique pour guider les visiteurs vers moi, mais les panneaux restent discrets voire absents aujourd’hui.
Alors montez au château et à quelques pas, venez me voir, chemin de Menton. Attention je ne suis accessible qu’à pied depuis le village. >>
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D'autres infos sur Wikipédia en suivant ce lien
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1 Dendrochronolie : méthode scientifique permettant la datation des pièces de bois par l’analyse de la morphologie des anneaux de croissance
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2 Il existe 2000 variétés d’olivier dans le monde, 400 en France et une cinquantaine cultivées par les professionnels
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3 Gabriel Hanotaux : 1853-1944, diplomate, historien, académicien, ministre des affaires étrangères en résidence à Roquebrune à l’époque
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4 Arbres Remarquables : Bilan, Recherche, Etudes et Sauvegarde, association assurant recherches biologiques, historiques ou folkloriques, aides aux inventaires régionaux, protection, conseils et diffusion des connaissances (visites, conférences, expos,…) contact : www.arbres.org